La loi sur les prestations complémentaires AVS/AI (LVPC)

 

RÉPONSE À LA CONSULTATION SUR L’AVANT-PROJET DE LOI MODIFIANT LA LOI SUR LES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES AVS/AI (LVPC) VISANT L’INTRODUCTION DE PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES CANTONALES POUR FAMILLES ET D’UN RÉGIME DE RENTE-PONT AVS POUR LES PERSONNES SALARIÉES EN FIN DE DROIT DE CHÔMAGE.

Madame, Monsieur,

Nous vous remercions de nous consulter au sujet de l’objet cité en titre, qui a retenu toute notre attention.

La réponse du CSP Vaud se centre sur le projet de prestations complémentaires pour les familles.

Le projet de rente-pont AVS, qui est transitoire, nous semble poser beaucoup moins de problèmes, et la brièveté des délais pour cette consultation, qui nous a mis dans l’embarras cette fois-ci, nous ont conduit à concentrer nos efforts sur le premier objet.

PROJET DE PRESTATIONS COMPLEMENTAIRES POUR LES FAMILLES

Nous sommes tout à fait convaincus de la faiblesse de la politique familiale, et des charges importantes qui pèsent sur les familles, au point que la charge d’enfants se présente souvent comme un facteur de pauvreté.

Nous estimons qu’il est problématique à différents titres que des familles de working-poor au sens de la définition officielle doivent recourir à l’assistance pour survivre.

Par ailleurs, nous constatons la situation souvent difficile des familles dont le revenu est modeste mais néanmoins supérieur aux normes du RI.

De ce fait, nous avons accueilli très favorablement l’idée d’améliorer le soutien aux fa- milles, et considérons cette question comme une importante question de politique so- ciale.
Cependant, après avoir étudié avec soin le projet qui est soumis à consultation, notre position est extrêmement mitigée face au modèle proposé, pour une série de raisons que nous exposons ci-après.

Ce soutien aux familles pourrait prendre différentes formes, dont celle qui est présentée ici. Il aurait été à notre sens intéressant et utile d’avoir mention comparative d’autres options possibles et de leur impact financier, en particulier concernant l’option de renforcement des allocations familiales, qui constitue une alternative intéressante aux prestations sous conditions de ressources, et plus éloignée du système assistanciel.

Ainsi que le mentionne le rapport explicatif, le CE a l’intention de renforcer durable- ment les régimes sociaux en amont du RI (avec la visée d’amortir autant que faire se peut les effets de la crise sur le RI). A cet égard, nous relevons que le choix de prendre les prestations complémentaires comme modèle de référence ne va pas de soi, puisque les PC ont été pensées à la base comme un régime transitoire, destiné à compléter provisoirement des prestations d’assurance insuffisantes. Prendre ce régime comme référence, et l’élargir à un autre groupe de bénéficiaires, institutionnalise en quelque sorte un régime de «bricolage provisoire».

Bien que l’avant-projet s’intitule PC familles et qu’il rejoigne la base légale des PC AVS/AI, nous constatons pourtant qu’il est à ce point différent du régime des PC qu’il s’agit plutôt de la création d’un nouveau régime intermédiaire entre les PC et l’assistance. Ce nouveau régime emprunte des éléments à différentes logiques, et est doté de caractéristiques propres qui le distinguent largement à la fois des PC et de l’assistance, notamment sur les dimensions suivantes:

– les PC familles sont imposables, alors que ni les PC AVS/AI ni le RI ne sont imposables;

– les PC familles ne donnent pas droit à un subside complet à l’assurance maladie, alors que c’est le cas pour les PC AVS/AI et le RI. Dans le nouveau régime, les primes d’assurance maladie ne sont pas comptées comme dépenses, mais les subsides (par- tiels) sont comptés comme ressources (cf. rapport explicatif p.12, et art. 12 al.2, art. 13 al.1, let c.). Cette manière de poser les éléments financiers n’est pas conforme à la pratique habituelle, dans laquelle entrées et dépenses sont considérées en regard les unes des autres1; le résultat du calcul en est de toute évidence faussé, puisque dans tous les exemples donnés, le rétablissement des primes dans les dépenses augmente- rait le montant de la PC due;

– la prise en compte de la fortune introduit un nouveau critère. Le modèle se rapproche pourtant des PC AVS/AI, pour lesquelles un dixième, respectivement un quinzième de la fortune imposable dépassant 25’000 / 40’000 francs est prise en compte. Dans le cas des PC familles, cette part est augmentée à un cinquième. (Les limites de fortune sont de 4’000 / 8’000 francs dans le cadre du RI);

– le financement emprunte quant à lui aussi une nouvelle logique, puisqu’avec les PC familles, on introduirait un financement partiel par cotisation dans le régime des prestations complémentaires.

Ce nouveau régime introduit une différence de traitement entre les familles avec de jeunes enfants de moins de 6 ans, et celles dont les enfants sont plus âgés, que ce soit dans la garantie du minimum vital, ou concernant le remboursement des frais de maladie.

Concernant les familles avec enfants de plus de 6 ans, nous observons une troublante confusion entre ce que vise la PC familles en réalité (compléter les ressources familiales) et la détermination du montant plafond (qui ne peut être supérieure aux besoins vitaux des enfants). Nous pensons en particulier que la formule «complément de revenu pour les enfants de 6 à 16 ans» présente en p.10 du rapport explicatif est inexacte, ainsi que la formulation de l’article 10 al.2, let.b : «[la PC annuelle couvre] seulement les besoins vitaux des enfants de 6 à 16 ans». Ces affirmations sont contredites par l’exemple 3 fourni en p.14, qui montre bien que c’est la différence entre dépenses (dans lesquelles les besoins vitaux sont déjà comptés) et ressources qui est confrontée au plafond constitué par les besoins vitaux des enfants, et que la PC vient ensuite compléter le revenu familial.

Soit on indique primes et subsides, soit ni l’un ni l’autre.

Réponse du Centre social protestant Vaud à la consultation sur l’avant-projet de PC familles

Le régime proposé dans l’avant-projet introduit encore un nouveau minimum vital dans un système déjà critiquable pour les inégalités de traitement engendrées par la coexistence de différentes normes poursuivant le même objectif. Ce nouveau mini- mum vital est le résultat d’emprunts aux deux régimes PC et RI, puisqu’il s’agit du minimum vital des PC AVS/AI amputé de 10%, et adapté à l’échelle d’équivalence du RI. Cette diminution du minimum vital de référence ne saurait trouver aucune justification mis à part celle de restrictions budgétaires. Nous estimons que ce point est particulièrement sensible, car de fait il induit que les familles – qui plus est actives, au- raient des besoins moindres que des personnes au bénéfice d’une rente AVS ou AI, ce que nous ne pouvons certainement pas cautionner.

La même logique est appliquée dans l’exclusion délibérée des familles de l’octroi de l’allocation de Noël (destinée aux personnes bénéficiaires d’une PC), ainsi que l’indique le projet de loi à l’article 6 (article 6 modifié pour ne concerner que les bénéficiaires de PC AVS/AI). Si les montants en jeu sont sans comparaison, cet aspect nous semble révélateur d’une certaine incohérence du projet, qui veut soutenir les familles avec enfants, mais prive ces derniers… de cadeaux de Noël pour faire de petites écono- mies.

Par ailleurs, nous sommes perplexes face à l’absence d’harmonisation dans le rapport explicatif et dans le projet de loi: selon l’article 12 al. 1 let. a, le CE «peut réduire ces montants de 10% au plus» alors que la variante en consultation affirme que la nouvelle norme «se calque sur le barème des PC AVS/AI diminué de 10%», et que «la va- riante avec un barème non réduit a été analysée, mais écartée en raison de son impact financier» du fait des droits de 3’000 familles supplémentaires… Il nous apparaît ainsi que la formulation de l’article 12 est trompeuse, ou alors que les affirmations du rapport explicatif sont en deçà de l’intention du projet.

Ce nouveau régime se déclare incitatif, mais… renonce au système de la franchise sur le revenu pour une question d’impact financier. Ici encore, c’est une logique financière qui domine, au détriment du projet et de sa portée en termes de politique sociale. Finalement, ce modèle n’incite réellement qu’à gagner au moins l’équivalent du revenu hypothétique.

Autres questions soulevées par le projet et non résolues
– Nous n’avons pas réussi à comprendre la-les raison-s de la limitation aux familles avec enfants de moins de 16 ans. Pourquoi pas 18 ans ? Si l’on pense à la situation des fa- milles actives avec enfant-s mineur-s à charge de plus de 16 ans qui ne sont pas en formation (donc sans allocation familiale ou de formation, ni de bourse), on peine à comprendre ce qui justifierait leur exclusion des PC familles.
– Insaisissabilité des revenus complétés par des PC familles et dettes: nous n’avons pas trouvé de point relatif à cette question. Or, pour des familles endettées au bénéfice du RI, en cas de versement de PC familles et de revenu imposable, les poursuites peuvent être réactivées et une saisie effectuée. A moins de prévoir une mesure d’insaisissabilité couvrant l’ensemble des revenus (salaire + PC familles), cela risque soit d’inciter des familles endettées à rester au RI, soit de constater que le versement d’une PC familles permet le remboursement de dettes. Ni dans un cas ni dans l’autre on obtient le résultat escompté.
– Prise en charge des frais de garde: s’ils sont remboursés, dans le cadre d’un régime qui ne prévoit pas d’exonération fiscale, cela induit une plus grande charge fiscale pour les familles. Au mieux, c’est un coup dans l’eau. Par ailleurs, nous ne comprenons pas du tout l’idée de plafonner ainsi le remboursement, ou en tout cas de placer un plafond si bas, qui ne couvre pas les frais réels en cas de taux d’activité professionnelle relativement élevé. Une telle demi-mesure risque au contraire d’inciter à ne pas travailler à un fort taux d’activité, mais juste pour gagner l’équivalent du revenu hypothétique.

– Gestion: le projet indique que la caisse de compensation rendra une décision annuelle. Il nous paraît optimiste d’imaginer qu’il soit possible de statuer de cette façon sur une prestation sous conditions de ressources. En effet, les éléments financiers peuvent subir de multiples fluctuations au cours d’une année. Nous craignons une sous-estimation im- portante des coûts de gestion pour les caisses de compensation.

On peut malheureusement se demander au vu des caractéristiques du nouveau régime proposé – pas de subside complet, pas d’exonération fiscale, prise en compte d’une part plus importante de la fortune, pas de franchise sur le revenu, contrôle important des données individuelles – si ce nouveau dispositif apparaîtra vraiment avantageux pour les personnes.

On s’interroge d’ailleurs sur les raisons de faire signer une renonciation au RI, dans un système dans lequel une double perception de prestations paraît exclue (surtout avec la base centralisée de données sociales), de même qu’un complément de prestations par le RI, puisque les PC familles devraient apporter une amélioration de la situation…

Tenant compte des différents éléments évoqués ci-avant, nous estimons que les choix effectués pour contenir les coûts du projet dans certaines proportions lui enlèvent malheureusement une bonne partie de son intérêt en tant que dispositif de po- litique sociale destiné à éviter le recours à l’aide sociale et diminuer la précarité.

En effet, le modèle de référence (PC) est à ce point perverti par les différentes restric- tions apportées en vue de diminuer les coûts, que finalement les visées de départ ne sont que partiellement atteintes, au prix d’une complexification flagrante et de nom- breux renoncements. Le fait que la diminution du seuil d’intervention implique que 3’000 familles vivant en dessous du seuil d’accès aux prestations complémentaires n’auront pas droit à une prestation complémentaire pour familles démontre que le dispo- sitif est tout à fait justifié, mais qu’avec les restrictions apportées, il manque son but (les 3’000 familles représentent grosso modo un bon tiers des ayant droit).

Par ailleurs, nous sommes frappés par la grande complexification du système, qui est due également à l’introduction de différentes réformes sur une très courte période.
Nous nous inquiétons :
– de la difficulté grandissante de compréhension du dispositif social pour les usagers- ères, qui se révèle problématique pour l’autonomie globale des personnes. Cette diffi- culté croissante est observable non seulement chez les usagers-ères, mais aussi chez des professionnel-le-s (tout bouge en même temps),

– du contrôle accru de la situation individuelle des personnes et des ménages généré par l’examen du droit à des prestations sociales,

– des compétences du/des services qui seront chargés d’examiner le droit à des prestations. Qui d’ailleurs ? Qui détiendra la capacité de calculer le comparatif RI/PC familles pour orienter au mieux les personnes ?

– de la complexification de la gestion administrative qui va en découler.

Nous estimons en définitive que le modèle proposé ne remplit pas ses promesses.
A notre avis, ce projet démontre malgré lui les limites de la juxtaposition de régimes sous conditions de ressources, produisant un empilement et un amoncellement de conditions particulières, et une complexification importante en termes de critères, de conditions à remplir, de contrôles, de procédures administratives et de gestion. Notre expérience nous permet d’observer le désarroi d’un nombre de plus en plus important de personnes qui sont dépassées par la complexité de l’environnement social, aussi bien usagers-ères que professionnel-le-s.

Au vu du résultat, nous pensons que l’objectif déclaré de réduction de la pauvreté, de soutien aux familles actives à revenu modeste, et de renforcement du dispositif social en amont de l’assistance pourrait être plus simplement et plus directement atteint par un vrai relèvement des allocations familiales. Ce dernier aurait l’avantage de la simpli- cité et de l’équité tout en atteignant plus directement son but, et en évitant un dédale de mesures sous conditions de ressources, de coûteuses mises en place de contrôles astreignants (pour tout le monde), de nouveaux effets de seuil et les différences de traitement qui sont inhérentes à de tels dispositifs.

CR/Jur, CSP Vaud, 8 octobre 2009.