Par GÉRALDINE SAVARY | 8 FÉVRIER 2002 dans DOMAINE PUBLIC
Jeunes adultes en difficulté: Lâchés dans la nature
Depuis le milieu des années nonante, les questions liées aux jeunes adultes en difficulté sont plus marquées. Parce que la crise économique les touche de plein fouet, parce que la durée des études s’allonge, parce que le monde, ses valeurs, ses repères, changent. De plus, l’introduction de la nouvelle majorité constitue « un repère historique autour duquel ces questions se sont cristallisées ». Une recherche vient de paraître dans le canton de Vaud, financée par le Service de prévoyance et d’aide sociales, qui met en lumière l’inadéquation des structures sociales existantes pour les jeunes adultes en difficulté. Entretien avec Caroline Regamey, sociologue au Centre Social Protestant, auteure de l’étude Papa, Maman, l’Etat et Moi. (entretien gs)
Domaine public : Quelles sont les origines de cette recherche?
Caroline Regamey : La démarche est originale. Plusieurs professionnels de terrain ayant affaire à des jeunes, que ce soit dans le cadre d’institutions privées ou publiques ont donné l’alerte. Il devient difficile de répondre aux demandes diversifiées, multiples des jeunes adultes en difficulté. Les réallocations de la Table ronde ont été versées pour un projet concernant les Jeunes adultes en difficulté (JAD), piloté par le Département de la prévoyance sociale et des assurances. Un collectif de professionnels de terrain a ainsi créé une permanence sociale provisoire pour accueillir les jeunes et qui permettait de systématiser les problèmes rencontrés. La permanence était destinée à servir la recherche, elle a duré dix mois. La mise en place de cette permanence provisoire a permis d’étayer, par des exemples, les lacunes du système.
Quels ont été les effets de la majorité abaissée de 20 à 18 ans ?
C’est d’abord un problème lié au contexte général. La durée des études s’allonge, ce qui retarde l’autonomie financière. Parallèlement la capacité financière des familles diminue, comme le montrent de nombreuses études consacrées au sujet. On exige en fait de plus en plus de la part des familles. Et les bourses ne couvrent pas les frais d’entretien, seulement d’écolage.
Quant aux jeunes qui ayant déjà quitté le foyer familial, qui ont eu un revenu et payé leurs cotisations sociales, ils reçoivent une bourse d’indépendants ; mais leur revenu est plus bas que les normes de l’aide sociale. La loi sur les bourses échappe donc totalement aux règles classiques des prestations sociales.
Dans votre recherche, vous mettez en évidence les inadéquations du dispositif général destiné aux jeunes. Pouvez-vous préciser ?
Il y a eu l’abaissement de la majorité, mais les lois n’ont pas été adaptées à cette nouvelle réalité. Ainsi des jeunes qui étaient suivis par le Service de protection de la jeunesse sont lâchés dans la nature.
Au niveau de logement aussi, il y a problème. Les logements subventionnés restent insuffisants et la priorité est donnée aux familles. C’est quasi impossible pour des jeunes en formation de trouver un logement.
L’aide sociale peut aider des jeunes ayant une activité professionnelle, mais seulement ceux qui ont un revenu insuffisant. Pour les jeunes en formation, il n’y a pas de droit à l’aide sociale, ni financière, ni en termes de prestations (conseil, suivi, orientation).
Les jeunes subissent ainsi une sorte de ping-pong institutionnel. Le cadre légal actuel ne répond pas aux problèmes des jeunes en difficulté.
Le centre a-t-il accueilli des jeunes ne trouvant pas d’apprentissage?
Oui, il y a non seulement le problème des jeunes en formation, mais celui des jeunes sans formation. Les lacunes scolaires, les connaissances élémentaires sont insuffisantes. Mais là aussi, rares sont les structures sociales qui permettraient de résoudre le problème.
Et quelle est la part relationnelle dans les problèmes rencontrés par les jeunes?
Elle est importante. Rompre avec ses parents au seuil de l’âge adulte n’est d’ailleurs pas très original. Mais cette rupture s’accompagne aujourd’hui souvent d’un arrêt total de la contribution alimentaire de la part des parents. Il y a aussi des parents qui ne veulent plus assumer leurs responsabilités face à leurs enfants. La plupart des parents que nous avons rencontrés ne sont pas forcément défavorisés ou dans une précarité financière grave. Leur niveau de formation correspond en majorité à la moyenne vaudoise évaluée dans le récent recensement. Mais il s’agit souvent de parents divorcés ou séparés qui ont construit un nouveau ménage ou un nouveau couple. Ils veulent refaire leur vie et ces jeunes adultes qui restent à la maison leur pèsent.
Quelles solutions peut-on envisager?
Il faut entreprendre des modifications dans les dispositions existantes, en particulier la loi sur les bourses et l’aide sociale. D’autre part, c’est un peu idéaliste peut-être, revoir la politique du logement pour permettre à ceux qui en ont besoin de profiter de logements subventionnés ; instaurer un salaire minimum ne serait pas un luxe. Enfin, nous proposons que soit créé un fonds d’urgence pour les jeunes jusqu’à ce que les dispositions existantes soient améliorées.
Je dirais aussi que c’est un problème politique complexe parce que, dans le canton de Vaud en tous cas, plusieurs départements sont concernés. C’est le Département de la santé sociale qui a géré la parution de cette étude, mais c’est au Département de formation et jeunesse de trouver des solutions aux problèmes.
Papa, Maman et Moi, Jeunes adultes, accès aux dispositifs sociaux et travail social: un état des lieux, rapport de recherche réalisé par Caroline Regamey.
Pour le commander: Secrétariat du Collectif JAD, pa ASEMO-Relais, Pré du Marché 21, 1004 Lausanne.
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