Le Revenu Minimum Contractualisé ou comment réinventer la poudre

Par Caroline Regamey, sociologue

A la suite de la série d’articles parus dans les trois derniers numéros e DP, consacrés au revenu minimum contractualisé, une sociologue lausannoise, co-auteure d’un article sur le même sujet dans la revue Repères, a désiré réagir. Elle met en évidence les défaillances et les limites commues et reconnues d’un système en vigueur en France depuis une dizaine d’années.

Dans le tout récent dossier consacré par DP au « revenu minimum contractualisé », les auteurs prétendent se pencher sur le cas du RMI, en analyser les succès, échecs et impacts. Choix particulièrement judicieux, ce dernier ayant servi de modèle à plusieurs réformes introduites dans différents cantons (entendez par là ces formes de revenus minimum contractualisé).

L’insertion: état permanent

Cependant le constat dressé n’est que partiel, pour ne pas dire partial. On peut en effet s’étonner du fait que les limites du « système RMI » n’aient été que tout juste effleurées , alors qu’elles sont aujourd’hui connues, huit ans après son introduction. Et le bilan est est malheureusement amer: On parle même d’échec autant sur le plan quantitatif (nombre d’insertions réussies) et que sur le plan qualitatif, du fait de deux limites majeures: premièrement parce qu’il n’existe pas assez d’offres d’emploi ou de formation pour satisfaire toutes les demandes et permettre une insertion réussie; et deuxièmement parce que, malgré beaucoup d’efforts déployés, l’étape d’insertion est de venue  un état permanent, voire même un statut pour un nombre important d’individus. Les acteurs, professionnels et bénévoles, engagés dans la lutte pour l’insertion – on parle volontiers de lutte contre l’exclusion, mais le détournement de l’expression pour traiter de l’insertion tend à paraître plus approprié à la réalité – disent eux-mêmes leur impuissance, leur découragement et leur sentiments de « tourner en rond ».

Poursuivre l’emploi sans jamais le rattraper

Ce qui est peut-être une manière tout à fait pertinente de qualifier cette sorte de ronde où l’insertion poursuit l’emploi sans jamais le rattraper, ce dernier produisant dans le même temps plus d’exclus (de l’emploi) que l’insertion telle qu’elle est conçue parviendra jamais à l’insérer…

Puisque l’on dispose des éléments pour le faire, on se doit aujourd’hui de considérer ce qui faisait l’originalité du RMI d’un point de vue plus critique: en l’occurence, cet élément original est la notion d’obligation contractuelle: le revenu est conditionnel, la condition étant que l’allocation se plie à un engagement personnel en vue de favoriser et de hâter son insertion dans la société, par la réintégration d’un emploi. Cependant, il s’est avéré impossible d’atteindre cet objectifs: il n’a pas été possible de proposer des offres d’insertion en suffisance, et seule une petit minorité des activités d’insertion ont pu déboucher sur un « vrai » emploi. Dans ces conditions, d’aucuns s’interrogent: à quoi sert d’imposer une conditionnalité que la collectivité elle-même n’est pas en mesure de mettre en oeuvre ?

Partenariat univoque

Reconnaissons qu’il y a également de quoi s’interroger lorsque l’on assiste à la mise en place de régimes similaires – dans les grandes lignes – au RMI français, ici, en Suisse. Il est vrai que l’on pourrait s’attacher à dénombrer les similitudes et différences de ces « innovations » cantonales, entre elles et le RMI, entre les modèles vaudois, valaisan, neuchâtelois ou genevois… Tous différents et pourtant si semblables, puisque leur originalité tient à l’obligation contractuelle. Bien qu’il faille signer un contrat de contre-prestation pour recevoir l’aide financière, la dimension ‘obligation n’est pas assumée en tant que telle par les initiateurs, Le « concept » de contrat est au contraire valorisé parce que « responsabilisant » et le mode contractuel est en passe de devenir une culture: culture du partenariat, de l’échange réciproque entre le bénéficiaire et l’Etat, le contrat étant l’élément (magique?) par lequel les assistés se transforment en partenaires…

Chacun s’accordera à reconnaître que ce n’est certainement pas l’existence de contrats qui permettra de sortir de la « crise », ni non plus de la rendre acceptable. Et finalement les demandeurs d’emploi ont-ils vraiment besoin d’être « responsabilises » par la signature d’un contrat, dans un contexte bouché où leur bonne volonté, même contractualisée, risque de ne pas apporter grand changement ?

En quelques sorte, tout se passe aujourd’hui comme si la Suisse, qui,  jusqu’il y a peu, était épargnée par la gravité du chômage structurel, se mettait à réinventer avec naïveté ce qu’un pays aussi proche que la France expérimente depuis une dizaine d’années déjà. La Suisse jouirait-elle de circonstances si particulières qu’elle peut se permettre de ne pas tenir compte des expériences peu concluantes dont nos malheureux voisins bénéficient, bien malgré eux ?

Innovation indispensables

En fin de compte, le revenu minimum contractuel, d’insertion, ou de réinsertion, on peut le nommer comme on veut, ne constitue qu’une forme – parmi d’autres – d’indemnisation aux individus privés de revenu. D’autres modèles existent , ceux qui sont nommés revenu minimum garanti (RMG) ou de solidarité, revenu minimum d’existence (RME) ou de citoyenneté, impôt négatif sur le revenu ou encore allocation universelle. Certains ont été expérimentés, d’autres moins, ou pas du tout.

Au-delà des partis pris ou des idées préconçues à leur sujet, il paraît aujourd’hui opportun d’examiner ces différentes possibilités d’un oeil plus neuf et parfois plus averti. A l’heure actuelle il ne fait aucun doute que certaines innovation sociales ou sociétales sont requises pour rechercher une forme d’organisation qui soit intégrative et non excluante.