Loi sur les contributions à la formation

REPONSE DU CENTRE SOCIAL PROTESTANT VAUD A LA CONSULTATION SUR LE PROJET DE REVISION TOTALE DE LA LOI SUR LES CONTRIBUTIONS A LA FORMATION

Madame, Monsieur,

Nous vous faisons parvenir notre prise de position sur l’objet cité en titre, qui a retenu toute notre attention.

Préambule

Depuis de nombreuses années, le CSP investit des forces pour conseiller et aider des jeunes en formation qui rencontrent des difficultés.

Le secteur Jet Service a été créé en 1984 afin de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, dans cette phase délicate que constitue la transition école-métier. L’un des objectifs posés à cette époque déjà était de prévenir la marginalisation des jeunes après la scolarité obligatoire en favorisant l’entrée en formation, ainsi que l’achèvement de celle-ci.

Cet objectif a d’ailleurs donné lieu à différentes initiatives de mise sur pied d’offres particulières réalisées en partenariat et répondant à des besoins spécifiques – conseil aux apprenti-e-s et aides au maintien dans la formation TEM et Accent notamment.

En lien avec la précarité sociale et juridique qui les touche, de nombreux jeunes gens sollicitent chaque année les services des professionnel-le-s (travailleuses, travailleurs sociaux, juristes) de Jet Service.

En effet, la précarité financière touche passablement de jeunes en formation, qu’ils et elles soient apprenti-e-s, gymnasiens et gymnasiennes, étudiant-e-s, précarité qui peut mettre en danger leur cursus de formation.

Parmi les problèmes amenés par les jeunes dans les permanences de Jet Service, les difficultés de financement de la formation (y compris celles associées au devoir d’entretien) et les questions explicitement liées aux bourses d’études sont nombreuses. Chaque année, ces motifs de consultation sont ceux qui apparaissent avec la plus grande fréquence que ce soit dans la permanence Apprenti-e-s et Jeunes en formation, ou dans le Service Droits des Jeunes.

Pour répondre aux questions touchant aux bourses d’études et d’apprentissage qui leur sont amenées, conseiller et aider les jeunes qui rencontrent des difficultés en matière de financement de la formation, les professionnel-le-s de Jet Service ont de fait développé de grandes compétences dans ce domaine et sont devenus des spécialistes de la question. C’est à ce titre notamment que l’un des juristes de Jet Service est chargé de présenter les particularités de l’aide aux études dans le cadre des enseignements sur les prestations sous conditions de ressource de la HES Santé social du canton de Vaud.

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COMMENTAIRES GENERAUX

Nous avons étudié le contre-projet soumis à consultation et l’avons trouvé très décevant car nettement insuffisant en regard des améliorations nécessaires.

Ce projet de loi ne répond pas aux attentes des étudiant-e-s et des familles provenant de milieux modestes, et n’améliore pas véritablement le cadre légal sur les aspects qui comportent de vrais enjeux: il ne vise ni une augmentation des subventions fédérales, ni une harmonisation concrète des disparités actuelles, ni une amélioration réelle des conditions de vie minimales des étudiant- e-s du degré tertaire. A le lire, il ne semble pas y avoir de volonté de développer une véritable politique de soutien et d’encouragement à la formation tertiaire en Suisse.

De ce fait, nous estimons que ce projet a une portée si minimaliste qu’il ne contribue guère à promouvoir l’égalité des chances et favoriser l’accès à la formation.

Si nous ne pouvons que saluer les efforts entrepris, notamment par les cantons, pour améliorer la situation existante par l’harmonisation des critères et la réduction des disparités et inégalités de traitement actuelles, nous saluons également l’intention de réformer le cadre légal fédéral.

La tentative qui est soumise souffre à notre avis d’une extrême frilosité qui l’empêche d’aboutir à un projet de loi fédérale utile, complète, et donc nettement plus prescriptive en matière d’harmonisation. Cela fait malheureusement reculer l’intérêt de disposer d’un cadre légal fédéral. Nous sommes malgré tout convaincus que la voie de la révision complète de la loi fédérale constitue une bonne solution, mais que la manière retenue pour le faire est inadéquate, que ce soit relativement aux attentes ou aux besoins maintenant connus. Nous pensons même qu’il est regrettable que cette loi-cadre de niveau fédéral soit limitée aux formations de degré tertiaire, du fait de l’article constitutionnel 66 qui laisse toute compétence aux cantons pour les aides à la formation de degré secondaire II, ces dernières nécessitant également une bien meilleure coordination et l’harmonisation de leurs conditions.

Dans une visée constructive, et après examen attentif de l’initiative UNES et du contre-projet indirect, nous estimons qu’il serait préférable à plusieurs égards de se référer au contenu de l’Accord intercantonal pour ce qui est du niveau tertiaire, avec des aménagements, comme base d’une loi fédérale.

Ce dernier a en effet d’excellents atouts en terme de portée et de contenu, notamment parce qu’il contribue à assurer les conditions de vie minimales durant la formation. En particulier s’agissant de la garantie d’un minimum vital durant la formation, il paraît difficilement acceptable que la loi fédérale n’en fasse pas mention.

Par ailleurs l’Accord intercantonal constitue déjà un cadre jugé minimal et on voit mal l’intérêt qu’il y aurait à disposer d’une loi fédérale qui se situe encore en-deça de ce qui est considéré comme minimal.

C’est pourquoi nous préconisons de se référer au contenu de l’Accord intercantonal et de lui apporter les aménagements nécessaires, de forme juridique comme de contenu, afin de lui conférer les nécessaires caractéristiques d’une loi-cadre fédérale.

Nous nous concentrons donc dès à présent sur les aménagements et corrections nécessaires en termes de contenu.

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PRINCIPAUX AMENAGEMENTS DE CONTENU A APPORTER AUX ARTICLES DE L’ACCORD INTERCANTONAL

Subsidiarité de la prestation (art. 3 Concordat et art. 7 projet Loi fédérale)
La subsidiarité totale qui découle de la teneur de cet alinéa ne nous semble ni souhaitable ni praticable.

En effet, s’il n’est pas contestable que les prestations d’aide à la formation sont subsidiaires à celles des personnes responsables légalement de l’entretien des personnes en formation (ce qui inclut la famille qu’il n’est pas besoin de mentionner), ainsi qu’aux prestations prioritaires du dispositif social, la subsidiarité aux prestations de tiers, en particulier privés, nous semble peu conforme à l’esprit de la loi, et qui plus est impraticable.

Il nous semble à cet égard utile de distinguer le besoin de coordination de la portée de cet article, qui selon la teneur proposée, nécessiterait de vérifier non seulement que toute prestation due est épuisée et que les prestations de statut public sont épuisées, mais aussi de vérifier toutes les prestations éventuelles de fondations privées à but social qui pourraient intervenir. Cela ne nous paraît pas réaliste et de plus, cela ferait reculer le statut d’aide à la formation au rang de prestation assistancielle.

Nous recommandons d’abandonner l’objectif de subsidiarité totale, de limiter la subsidiarité aux personnes tenues légalement et aux dispositifs de droit public, et de reformuler l’alinéa comme suit :

3 Cette aide est subsidiaire à celle de toute personne tenue légalement de pourvoir à l’entretien de la personne en formation, ainsi qu’aux prestations sociales prioritaires.

Personnes ayant droit à une allocation de formation (articles 5 Concordat et projet Loi fédérale)

Lettre d) personnes reconnues comme réfugiées ou apatrides par la Suisse

Cette lettre devrait être complétée par la mention explicite des personnes titulaires d’un livret F – attestant que l’exécution du renvoi est pour l’heure illicite, impossible, ou ne peut être raisonnablement exigée. A titre indicatif, la CDAP (Cour de droit administratif et public) du Tribunal cantonal vaudois a eu l’occasion de préciser que le statut de réfugié s’applique tant aux étrangers qui ont obtenu l’asile en Suisse qu’à ceux qui y ont été admis provisoirement au titre de réfugié.

Il a dès lors admis1 la possibilité pour une personne titulaire d’un livret F d’obtenir une bourse d’études.

Nous recommandons de compléter l’article comme suit :
«personnes reconnues comme réfugiées ou apatrides par la Suisse, y compris titulaires d’un livret F.»
Cette précision devrait être apportée pour toutes les formulations mentionnant les personnes reconnues comme réfugiées ou apatrides par la Suisse (ex. art. 6 l.c du Concordat).

1 Refus de l’OCBEA d’octroyer une bourse à la recourante au motif que cette dernière, qui est au bénéfice d’un permis F (réfugiée admise à titre provisoire) ne peut pas se prévaloir du statut de réfugiée. Or, le Tribunal administratif a déjà eu l’occasion de rappeler que cette affirmation est dépourvue de tout fondement. En effet, le statut de réfugié prévu à l’art. 11 al. 1 lit b LAE s’applique tant aux étrangers qui ont obtenu l’asile en Suisse que ceux qui n’y ont été admis provisoirement au titre de réfugié. Partant, ces deux catégories de personnes bénéficient d’une aide à la condition que leurs parents soient domiciliés dans le canton de Vaud, ce qui est le cas en l’espèce. Recours admis. ((BO.2002.0215 du 5 juin 2003)

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Concernant le cercle des ayants droit de façon plus générale, nous tenons à mentionner qu’il est souhaitable que le statut légal des personnes ne constitue pas un obstacle à la formation, et partant, également en termes d’accès aux prestations d’aide aux études et à la formation.

En effet, si les enfants et les jeunes sont tributaires de la situation de leurs parents, et ne peuvent en aucun cas être tenus pour responsables de leur situation, la Suisse est quant à elle responsable de garantir un accès non discriminé aux enfants et aux jeunes à l’éducation et à la formation. Il est donc de son devoir de trouver des voies permettant de réellement surmonter les obstacles existants.

Ainsi, nous estimons que les personnes régulièrement domiciliées dans un canton et dont les moyens financiers sont insuffisants devraient pouvoir prétendre à une aide favorisant l’accès à la formation post-obligatoire et le maintien en formation, même si leur statut légal ne correspond pas strictement aux critères posés, et cela dans le respect de l’esprit de la loi – tel qu’affirmé dans les principes généraux, en particulier aux articles 1 et 2 .

Exercice d’une activité professionnelle (art. 7 Concordat)

1 Quatre années d’exercice d’une activité professionnelle assurant l’indépendance financière de la personne sollicitant une allocation valent première formation donnant accès à un métier.

2 Valent aussi activité professionnelle la tenue de son ménage avec des mineurs ou des personnes nécessitant des soins, le service militaire, le service civil et le chômage.

Alinéa 1 La teneur de cet alinéa est trop exigeante. Elle est d’ailleurs largement supérieure aux conditions de l’indépendance financière posés par certains cantons, comme le canton de Vaud.

De manière générale, les conditions de reconnaissance de l’indépendance financière sont trop restrictives (cf art. 19 Calcul partiellement indépendant des prestations parentales) et constitue- raient une régression par rapport à la situation actuelle dans certains cantons.

Alinéa 2 Si le chômage est cité, nous pensons nécessaire de mentionner qu’il en est de même pour les autres prestations assurantielles qui assurent la même fonction et qui sont d’ailleurs reconnues dans le contexte de cette disposition.

De plus, la teneur initiale de cet alinéa consacre une discrimination de genre qui favorise les hommes notamment en tenant compte du service militaire et du service civil comme activité lucrative. Dans certains domaines d’activité (notamment dans le champ du travail social et de la santé), les femmes ne peuvent faire valoir comme activité lucrative les stages peu rémunérés voire non rémunérés qu’elles ont effectués. Cette pratique des stages concerne un nombre grandissant de jeunes et en particulier de jeunes femmes avant l’entrée en formation HES.

Nous préconisons de compléter la teneur de cet alinéa comme suit :

2 Valent aussi activité professionnelle la tenue de son ménage avec des mineurs ou des personnes nécessitant des soins, le service militaire, le service civil, le chômage (et les autres prestations assurantielles de compensation du revenu), ainsi que les stages préalables à l’entrée en formation.

Age maximum à l’entrée en formation (art. 12 al.2 Concordat et art. 5 al.2 projet Loi fédérale)

Il n’est pas judicieux de fixer une limite d’âge à l’entrée en formation. Cela est même contraire à la visée de promouvoir l’égalité des chances, car une limitation prétériterait les personnes connaissant un parcours de vie non linéaire, et en particulier les femmes, dont on peut observer une entrée parfois tardive en formation (notamment dans les HES). Une limitation est également contradictoire avec l’évolution des formations, l’introduction des masters, etc.

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Libre choix de l’établissement et du lieu de formation (art. 14 Concordat et art. 10 al.3 projet loi fédérale)

3 Si la filière librement choisie d’une formation reconnue n’est pas la meilleur marché, un montant approprié peut être déduit. L’allocation prend toutefois en compte au moins les frais personnels qui auraient également découlé de la formation la meilleur marché.

Dans sa teneur actuelle, cet alinéa va l’encontre de la promotion de la mobilité et du libre choix de l’établissement et du lieu de formation, du fait du seul critère indiqué, celui du coût le meilleur marché.
Cette teneur ne pourrait se justifier que pour autant que la formation librement choisie soit strictement équivalente à celle meilleur marché. Nous pensons en particulier aux différences d’orientation et aux spécificités des formations proposées par certaines écoles, qui président au choix effectué du lieu de formation. Ces différences et spécificités impliquent notamment des spécialisations qui ne sont pas présentes dans tous les établissements, ni dans tous les cantons (ex. offres des HES ECAL Vaud et HEAD Genève).

Nous préconisons soit de supprimer cet alinéa, soit une formulation qui permette de prendre en compte le critère de l’équivalence des formations, comme :

En cas de stricte équivalence de l’offre de formation, si la filière librement choisie d’une formation reconnue n’est pas la meilleur marché, un montant approprié peut être déduit. L’allocation prend toutefois en compte au moins les frais personnels qui auraient égale- ment découlé de la formation la meilleur marché.

Montant d’une allocation complète (art. 15 Concordat)

Afin de garantir des conditions de vie minimales durant la formation, et dans le souci de la cohérence des dispositions en matière de garantie du niveau de vie, cet article mériterait d’être entièrement reformulé.

Nous proposons de prévoir que le montant d’une allocation complète corresponde à la couverture des besoins liés à l’entretien selon les normes en vigueur dans le canton de domicile, auxquels s’ajoutent les frais de formation.

Une telle teneur, d’ailleurs déjà retenue dans certains cantons, permettrait d’éviter des inégalités de traitement en matière de garantie du niveau de vie au sein d’un même canton, et ceci tant que des prescriptions unitaires contraignantes en matière de minimum vital (social) ne sont pas introduites (au niveau suisse).

Par principe, nous sommes opposés à une généralisation des prêts, qui selon nous devraient être réservés à des situations particulières.

Calcul des besoins financiers – contribution propre de l’étudiant-e (art. 18 Concordat)
Nous sommes opposés à la disposition qui prévoit qu’une personne en formation puisse être appelée à fournir une prestation propre minimale, qui nous paraît difficilement exigible.

En effet, les difficultés de conciliation de certaines études avec l’exercice d’une activité rémunérée ont été mises en évidence à diverses reprises notamment depuis l’entrée en vigueur de l’Accord de Bologne.

Si l’on peut constater que bon nombre d’étudiant-e-s exercent de petits boulots pour améliorer leur ordinaire, nous pensons qu’il n’est pas souhaitable de fixer une contrainte de cet ordre dans le cadre des aides à la formation, qui sont censées favoriser de bonnes conditions de formation.

Nous recommandons l’abandon de cette clause.

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Notion d’indépendance financière

Cette notion, ainsi que les critères de l’indépendance financière sont abordés dans deux articles de l’Accord intercantonal : article 19 (Calcul partiellement indépendant des prestations paren- tales) et article 7 (Exercice d’une activité professionnelle).

De manière générale, les conditions cumulatives de reconnaissance de l’indépendance financière sont à notre avis particulièrement problématiques, car beaucoup trop restrictives, et leur application formelle constituerait une régression par rapport à la situation actuelle dans certains cantons.

Pour exemple, le canton de Vaud a jugé utile et nécessaire d’assouplir ses critères d’indépendance financière il y a quinze ans déjà, en 1997.

Une loi-cadre devrait absolument proposer des critères plus en prise avec la réalité sociale et qui ne constituent pas une régression, et cela même si ces critères peuvent être améliorés par les cantons.

En particulier :

  • –  le critère de l’âge (25 ans) devrait être abandonné. En effet, il prétérite les personnes qui ont acquis les conditions d’indépendance financière sans avoir atteint cet âge et qui ne pourraient prétendre à une aide à la formation ;
  • –  le critère «première formation donnant accès à un métier» est inadéquat car il ne tient pas compte des trajectoires de jeunes ayant achevé une filière académique (gymnasiale) et exercé une activité professionnelle, qui peuvent à l’heure actuelle prétendre à une aide à la formation et que cette disposition exclut pourtant. Ce critère crée une inégalité de traitement entre les jeunes ayant suivi une formation professionnelle et les jeunes provenant des filières académiques qui sont fortement pénalisés.De sorte, nous préconisons d’abandonner ces deux critères et de maintenir celui de l’indépendance financière acquise avant de commencer une nouvelle formation. Les critères posés par le canton de Vaud (18 mois d’activité rémunérée permettant l’autonomie financière pour les moins de 25 ans, 12 mois pour les plus de 25 ans) nous paraissent constituer une bonne référence.

CSP Vaud / CR et Jet Service / 14 février 2012