Bye bye Denis

Denis Schneuwly prenait sa retraite en mai dernier, après 23 ans passés à l’Atelier Galiffe. Comment cet universitaire diplômé en génétique cellulaire humaine a-t-il basculé dans le monde de la santé mentale ? C’est le verbe fleuri et la moustache espiègle, que le fringant sexagénaire revient avec nous sur son expérience.


 Autant le dire tout de suite, Denis Schneuwly a coloré, sinon inventé, une partie de son travail à partir de la palette de sa personnalité. Parmi les activités qu’il a animées au centre de jour Galiffe du CSP Genève figurent ainsi le jardinage, une de ses grandes passions, la décoration du lieu et la cuisine. « Faire des confitures avec les participants, je trouvais ça génial ! Cela allait de la récolte des fruits à la décoration des étiquettes.» 

 

« Prêt pour un nouveau job »

Après une licence en biologie, Denis Schneuwly a passé plusieurs années dans l’humanitaire, en tant que délégué du CICR, puis responsable d’un service d’aide aux migrants à la Croix-Rouge genevoise. « Les traumatismes de guerre et l’urgence humanitaire étaient mon pain quotidien. Je ressentais alors une profonde colère contre les injustices et les responsables de la souffrance des personnes que j’accueillais. J’étais prêt pour un nouveau job.» Sa motivation en postulant en 2000 au poste d’animateur à l’Atelier Galiffe ? « À la Croix-Rouge genevoise, je collaborais souvent avec le CSP. J’avais une image très positive de son indépendance et de la qualité de son travail. Et puis, j’ai un double intérêt pour les objets et l’humain. Le monde de la création m’est cher. L’Atelier Galiffe, avec son approche créative, permet de combiner les deux.»

 

« C’est toi qui as les clés »

« Soutenir, aider, tendre la main et partager, c’est quelque chose que j’aime bien. Je n’ai jamais rêvé d’être médecin, je ne suis pas un sauveur. Je suis un accompagnateur. Arrivé chez Galiffe, la colère n’était plus d’actualité. La complexité du trouble psychique est telle…Je ne pouvais pas me mettre en colère puisque je ne trouvais plus de responsable ! »

« Mais il y a de grands ennemis qui nous guettent. L’un des plus redoutables, c’est la victimisation. Il ne faut pas tomber dedans. C’est une condition pour que le lien demeure vivant et pour accompagner les personnes. Nous devons considérer celles-ci comme des sujets plutôt que comme des objets, au risque de les enfoncer. Je disais souvent : « L’acteur principal, c’est toi. C’est toi qui as les clés ». »

 

L’attention aux détails

« Galiffe m’a donné le goût du petit, l’attention au moindre mouvement. C’est un travail où il faut donner de l’importance à chaque détail et à chaque ressenti. Ce sont des sources d’information précieuses sur le besoin de la personne. Le stress est mauvais conseiller à Galiffe. »

« Si nous ne définissons pas d’objectifs avec les participants, cela ne nous empêche pas d’avoir des intentions. Il faut savoir être hypostimulant par exemple, tenir un cadre, avec certaines personnes. Tandis que ce sera l’inverse pour d’autres. »

« Certaines personnes étaient prises dans des océans de souffrance. Pour celles-là, si j’avais réussi ne serait-ce qu’une fois à les faire sourire, je considérais que j’avais gagné mon salaire de la journée ! »

« Il faut savoir rester humble dans ce métier, et garder une distance critique vis-à-vis des chapelles et des idéologies. Les lacaniens, les freudiens… L’ancien directeur du CSP, Pierre-Alain Champod, qui s’est beaucoup engagé dans la création de l’Atelier, évoquait la spécificité de Galiffe en termes de pragmatisme. Nous devons sans cesse expérimenter et savoir nous remettre en question. »

 

Ne pas se tromper de rôle

« Pour ma part, j’avais beaucoup recours à la théâtralisation : « On va faire le plus beau panier du monde ! » Ça, avec l’humour, c’est très important. Face à la souffrance, la fuite, la peur du contact, cela permet à la personne de prendre conscience des choses sans les dramatiser. »

« Des liens se sont créés tout au long de ces années. Mes relations avec les participants étaient certes professionnelles, mais authentiques. Il faut faire très attention à la confusion entre le professionnel et le privé. Il m’est arrivé par exemple de devoir refuser une invitation à un anniversaire. Nous cheminons ensemble, mais le temps de l’Atelier. »

 

Qu’est-ce qui a changé en 23 ans ?

« Les valeurs de Galiffe – l’accueil libre, l’absence d’objectifs et de dossier… – n’ont pas changé tout au long de ces années. On est resté dans cette ligne simple et efficace, et les restructurations, les grands mouvements institutionnels, ne nous ont pas impactés. Les tonalités et la nature des activités peuvent en revanche bouger en fonction des personnes qui animent l’Atelier. »

« Au niveau de la santé mentale à Genève et en Suisse, le changement vient sans doute de l’émergence de nombreuses associations de personnes concernées, qui font un excellent travail. Le développement des formations de pairs praticiens aussi est très prometteur. C’est encore embryonnaire à ce jour et mérite d’être soutenu. »

 

Ses projets pour la retraite

« Le mot « disponibilité » a pris tout son sens. Pas seulement en termes de temps, mais aussi d’idées nouvelles qui ont désormais l’occasion d’éclore. Je vais certainement commencer un cours de travail sur le bois ou le verre. Et j’ai le temps de lire… ! » Le CSP remercie Denis pour ses 23 années d’engagement chaleureux et créatif à l’Atelier Galiffe, et lui souhaite une retraite aussi vivante !

 


© images: David Wagnières