Précarité à Genève: les leçons d’une crise

Caritas Genève et le CSP Genève saluent le soutien du Canton et de la Ville de Genève pour stabiliser un dispositif d’aide d’urgence alimentaire dont la nécessité n’est plus à démontrer. On ne peut toutefois se contenter de mesures palliatives. Nos organisations d’entraide appellent les autorités – Canton, Ville et Communes – à développer une stratégie concertée de lutte contre les causes de la pauvreté, révélées par la crise sanitaire. Fortes de leurs observations sur le terrain, à l’écoute des personnes en difficulté, elles mettent en évidence les enjeux majeurs d’une telle stratégie, dont le droit à un minimum vital.

Dans leur travail quotidien de conseil, Caritas Genève et le Centre social protestant (CSP Genève) constatent la détresse de nombreuses personnes qui se démènent pour gagner leur vie par leur travail mais connaissent en permanence des fins de mois difficiles. Plus d’un ménage sur cinq à Genève ne parvient pas à mettre de l’argent de côté pour faire face à des dépenses imprévues. Ce phénomène touche même les classes moyennes inférieures, également fragilisées durant la crise sanitaire. Beaucoup de ménages se sont endettés pour faire face aux dépenses vitales: nourriture, loyer, assurance maladie, frais de santé non remboursés.

Il faut un minimum pour vivre
La pression à la baisse sur les salaires dans certains secteurs impose le recours à l’aide sociale pour de nombreux travailleurs pauvres. Il s’agit d’un enjeu structurel. Le « Rapport pauvreté » du Canton de Genève le soulignait déjà en 2016: « […] en l’absence d’un changement de cap dans les politiques salariales, l’intervention de l’État pour remédier à la faiblesse des revenus du travail sera appelée à augmenter, faisant dans les faits peser sur les finances publiques une insuffisance découlant de l’évolution du marché du travail ».
Quels que soient les résultats de la votation du 27 septembre prochain sur le salaire minimum, les organisations d’entraide attirent l’attention sur ce phénomène de vases communicants entre le niveau des salaires et le niveau de l’aide sociale. Nous avons collectivement la responsabilité de garantir le droit à un minimum vital. Ce doit être l’une des premières priorités stratégiques dans la lutte contre la pauvreté.

Les mesures de protection sociales actuelles sont insuffisantes
Le niveau des salaires n’est pas seul en cause. La crise sanitaire a aussi révélé une précarisation des contrats de travail: travail sur appel, contrats à durée déterminée, stages sous-rémunérés, travail intermittent, fragilité des revenus de nombreux indépendants… Notre système de protection sociale ne couvre pas les risques liés à l’instabilité des conditions de travail et des revenus engendrés par l’évolution du marché du travail. Il est indispensable d’y remédier. Les organisations d’entraide ne peuvent pas pallier sur la durée une vulnérabilité structurelle. Il faut améliorer la stabilité des revenus autant du côté du droit du travail que du côté des mesures de protection sociale des salarié.e.s. A cet égard, Caritas et le CSP appellent à refuser le référendum qui tente d’annuler l’indemnisation des travailleur.euse.s précaires victimes de la pandémie.

L’augmentation du chômage de longue durée doit être prise très au sérieux
Suite à la crise sanitaire, on observe une augmentation du chômage qui risque d’être durable et de prétériter encore davantage les demandeur.euse.s d’emploi écartés depuis longtemps
du marché du travail. Cette situation ne saurait être banalisée. Des alternatives doivent être envisagées pour repenser l’accès au travail dans des conditions dignes. Un dossier élaboré par les Caritas romandes propose un état des lieux sur cet enjeu et esquisse les défis à relever (à consulter ici: http://www.caritas-ge.ch/cantons-zero-chomeur).

La détresse des « invisibles »
La nécessité d’une aide d’urgence alimentaire a aussi mis au grand jour l’étendue des diverses formes d’exploitation indignes des ménages qui ne bénéficient pas d’un statut légal. Employeurs indélicats et marchands de sommeil qui louent des lits ou logements à taux usuriers sont à la source de ces situations de détresse. Il est donc nécessaire de ne pas ajouter à la souffrance de leurs victimes sous le prétexte de lutter contre le travail au noir. Caritas Genève et le CSP conseillent aussi bien les personnes sans statut légal que leurs employeurs en faveur d’une régularisation de ces situations problématiques au cas par cas. Nos oeuvres d’entraide estiment nécessaire de repenser les critères de régularisation des sans-papiers ainsi que de lutter activement contre le commerce des marchands de sommeil.

Caritas et CSP appellent de leurs voeux une réflexion stratégique approfondie sur ces diverses priorités de lutte contre la pauvreté.

Témoignage
Mariama* élève seule ses deux enfants en travaillant à 90% dans le secteur du nettoyage et de l’économie domestique. Malgré l’aide qu’elle reçoit sous la forme de subsides d’assurance maladie, elle ne parvient pas à faire face à ses charges courantes. En attendant de pouvoir prétendre à des prestations complémentaires familiales (PCFam), elle doit compter sur le soutien d’organisations comme Caritas et le CSP. Mariama cumule plusieurs indicateurs de risque de pauvreté, tels que définis par le Conseil d’État en 2016 dans son «Rapport sur la pauvreté». Selon les derniers chiffres disponibles de l’Office cantonal de la statistique, le risque de pauvreté concerne 19% de la population à Genève. Ce rapport, rappelons-le, voyait le jour six ans après que le CSP et Caritas ont alerté les autorités sur la nécessité de documenter le phénomène de la pauvreté à Genève pour mieux le combattre. C’était il y a dix ans. Aujourd’hui, la crise née de la secousse pandémique jette une nouvelle lumière sur l’extrême précarité de milliers de ménages de notre canton.
*Prénom fictif

Communiqué de presse Caritas Genève et CSP du 17 septembre 2020