Le 14 juin 2024, le Parlement suisse a adopté une modification de l’article 50 de la Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (LEI). Entrée en vigueur le 1er janvier 2025, cette réforme vise à mieux protéger les victimes migrantes de violences domestiques, en leur permettant de quitter un conjoint violent sans risquer de perdre leur permis de séjour.
La peur de perdre leur autorisation de séjour a longtemps empêché de nombreuses victimes migrantes de dénoncer les violences domestiques qu’elles subissaient. Le permis étant souvent lié à leur mariage, une séparation avant trois ans de vie commune pouvait entraîner une décision d’expulsion, à moins de pouvoir prouver des violences d’une intensité particulière et systématique. Une exigence qui contribuait à prolonger ces situations, notamment parce que les violences domestiques se produisent souvent à huis clos et sont difficiles à démontrer.
Avec la modification de l’article 50 LEI, des indices explicites de violences domestiques, comme les attestations LAVI, ainsi que celles des services spécialisés doivent désormais être considérés comme des preuves valables. Cette reconnaissance légale constitue une avancée cruciale. En effet, l’exigence de devoir fournir des preuves de ce qu’elles ont subi est souvent une démarche difficile, voire impossible pour les victimes.
Une autre avancée importante réside dans l’égalité d’accès à la justice pour toutes les victimes. Désormais, toutes auront la possibilité de recourir jusqu’au Tribunal fédéral, ce qui n’était pas le cas auparavant, cette voie de recours étant réservée aux conjointes de personnes de nationalité suisse ou détenant un permis C.
Une ombre au tableau
Les organisations de défense des personnes migrantes, dont le CSP, saluent ces avancées. Elles regrettent toutefois que la loi n’ait pas modifié le délai d’intégration. Actuellement, les victimes doivent prouver leur indépendance financière une année après l’octroi d’un permis de séjour. Les organisations estiment que ce délai doit être prolongé à trois ans, la violence domestique entraînant souvent un isolement social et professionnel qui rend difficile une insertion rapide dans le monde du travail.
Nombreuses sont les personnes accompagnées au CSP qui ont été empêchées par leur partenaire de s’intégrer. Après la séparation, elles sont contraintes de solliciter l’aide sociale, le temps de se reconstruire. Or, le fait de dépendre de l’aide sociale peut encore constituer un motif de révocation du permis, ce qui limite l’efficacité de la protection instaurée par la nouvelle loi.
Un combat de longue haleine
La mise en œuvre de cette réforme n’en constitue pas moins une étape importante pour toutes celles dont le permis de séjour dépend de leur époux. Elle marque l’aboutissement de décennies de travail de plaidoyer mené par des associations, le « Groupe de travail Femmes migrantes & violences conjugales » et plusieurs parlementaires. Par ailleurs, la Suisse franchit un cap dans la lutte contre les violences faites aux personnes migrantes qui permet de lever enfin la réserve qu’elle avait émise à l’article 59 de la Convention d’Istanbul.
Les associations poursuivent quant à elles leur mobilisation pour obtenir des améliorations supplémentaires. D’une part, la protection des victimes ne s’arrête pas à la reconnaissance des violences subies : elle doit aussi garantir des conditions de vie dignes et un accès réel à l’indépendance économique. D’autre part, seules les femmes mariées au civil ou les concubines disposant d’un permis peuvent bénéficier de ce changement de loi. Les victimes sans permis de séjour qui sont en situation maritale (mariage coutumier ou concubinage) en sont exclues. Or, bien souvent, l’absence de démarches du partenaire en vue d’une régularisation participe de la situation de violence.
Raphaël Rey
© Janine Jousson